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Préparer le terrain d’une transformation managériale

Préparer le terrain d’une transformation managériale

Le 

14

 

OCTOBRE

 

2025

 • Par 

Bastoun Talec

La transformation des organisations ne commence pas toujours par une nouvelle structure, un logiciel innovant ou un modèle de gouvernance à la mode. Parfois – souvent même – elle commence par quelque chose d’invisible, de fragile, de puissant : la parole. Celle qu’on retient. Celle qu’on ne dit pas. Celle qu’on attend qu’un autre dise.

Et si le premier levier d’une transformation réussie était de permettre aux dirigeants et aux équipes de dire ce qui est là, de nommer leurs craintes, leurs aspirations, leurs résistances aussi ?

Ces questionnements, forgés puis prolongés par des années de pratique sur le terrain ont valu à Pierre Millerat et son co-auteur Jérôme Berrard, un livre paru chez Dunod : Le Coaching de Dirigeants orienté solution.  

Coach d’organisation d'Enedis Conseil Action, le cabinet de conseil interne et de reconversion professionnelle d’Enedis qui a adopté l’Holacratie en décembre 2017, Pierre Millerat partage une vision lucide et sensible de la transformation. Son expérience auprès d’une cinquantaine de consultants dans un contexte de gouvernance distribuée l’a amené à formuler une conviction forte : avant de transformer la gouvernance, il faut améliorer le climat relationnel, en commençant par le haut.

À travers la méthode ACOS – Accompagnement Collectif Orienté Solution, Pierre propose un chemin clair et accessible pour libérer la parole au sein des instances de direction. Car toute transformation durable se construit sur un socle de confiance, d’écoute, et d’alignement profond sur les tensions réelles du terrain.

Cet article vous offre l’opportunité de découvrir :

  • Un Retour d’expérience sur l’Holacratie dans une entreprise publique
  • Les fondements de la méthode ACOS

L’Holacratie prend acte de ce qu’au début de tout collectif humain est la raison d’être. Celle de Enedis Conseil Action (ECA) est de « créer de la valeur pour les clients et améliorer l’employabilité interne ».

Cette entité occupe une population spécifique : 25 cadres confirmés, cadre supérieur ou dirigeant. Le turnover y est élevé - renouvellement complet en moins de deux ans - et assumé puisque sa vocation consiste à ré-orienter les personnes en cours de carrière au sein d’un groupe qui compte quelques 40 000 talents au total.

Acculturer 25 personnes tous les deux ans requiert une intégration à la fois programmatique, résolue mais progressive. Un noyau dur de quatre personnes initie les entrants à l’Holacratie. Ces derniers sont ensuite formés plus avant aux fondamentaux (2j avec HappyWork aux Holacracy Essentiels). Cet accompagnement holacratique sensibilise quant à la structure organisationnelle et à la façon d’opérer et de prendre les décisions. Il participe d’un parcours d’intégration et d’acculturation plus large.

Dès la genèse d’ECA fin 2017, son Fondateur Philippe Thirion (1) a adopté l’Holacratie pour inventer de nouvelles façons de fonctionner et éviter la reproduction de hiérarchies classiques.  

Force est de constater, ajoute Pierre Millerat, que l’Holacratie a aussi produit un effet « cloche » en ceci qu’elle a protégé un mode de fonctionnement innovant au sein d’une grande structure.

En effet, si « l’Holacratie explicite les droits, devoirs publics et les attentes mutuelles et contribue ainsi à apaiser les relations en tuant dans l’œuf de nombreux malentendus » explique Pierre Millerat, elle vient « compléter une culture d’entreprise pré-existante. Laquelle détermine toute transformation et dynamique collective » ajoute-t-il aussitôt.

Dans les grandes structures françaises, les rangs sociaux, le consensus et les longs processus décisionnels imprègnent le travail.

Pierre ne masque d’ailleurs pas les difficultés rencontrées : l’adaptation des dirigeants à la perte de pouvoir hiérarchique ou des personnes peu enclines à développer leur leadership. Sur ce dernier aspect, il a au demeurant assisté à de jolies transformations individuelles : révélation de talents, affirmation de soi, prise de conscience de sa valeur et de son rôle dans le collectif. Le « A » de ECA signifie Action or l’Holacratie fait prévaloir celle-ci. Pierre raconte : « Il y a des vraies révélations. Je me rappelle un cadre chez nous, qui dit aux autres en réunion des opérations, mais pourquoi vous nous demandez notre avis ? Décidez vous-même, j’ai l'habitude d'exécuter. »

Outre la qualité de l’embarquement et la prise en compte du cycle de maturité d’une population impliquée dans une transformation collective, le Coach d’organisation insiste sur  

  • L’importance d’un référentiel explicite,
  • Le développement de la maturité émotionnelle et opérationnelle via l’explicitation des rôles et des ateliers de posture et d‘identité professionnelle,
  • La répétition et l’ancrage de la raison d’être dans les pratiques quotidiennes,
  • L’atteinte d’une masse critique pour l’adoption du modèle.

Questionné quant à l’extension du fonctionnement en Holacratie à travers Enedis, Pierre Millerat reste lucide quoiqu’encourageant : « les anciens d’ECA diffusent la culture des droits et devoirs dans d’autres entités, même si l’Holacratie ne se généralise pas à toute l’entreprise. »

Lucide parce que le coach et auteur sait que toute transformation collective démarre par la compréhension d’un groupe humain, en quatre dimensions, et oblige à se poser au moins autant de questions associées :  

  • Sens : Quel est celui de l’entité ? Est-il clair…et partagé ?
  • Énergie : chaque membre poursuit-il une finalité en cohérence avec le sens ? les membranes (2) sont-elles énergiquement défendues ?
  • Relations : quelle qualité relationnelle prévaut au sein de l’équipe ?
  • Apprentissages : quels rituels pour apprendre ? Les réussites sont-elles célébrées et les erreurs admises voire encouragées ?

Ces points cardinaux forment l’acronyme SERA et opèrent tel un modèle (3) aidant à la fois pour lire et aider un système humain à évoluer. Pour le comprendre donc. Littéralement, le « prendre avec ». Avec sa réalité contextuelle, ses potentiels et ses ornières. Dans cette phase de compréhension, c’est aussi le système coaché qui commence tout juste à se comprendre lui-même : le diagnostic « systémique (4) » s’apparente souvent à un auto diagnostic.

Outre les rôles (décrits en droits et devoirs) et le sens ou la raison d’être évoqués plus haut puisque fondamentaux en Holacratie, Pierre Millerat clarifie très tôt dans son approche de coaching de Codir, les intentions managériales. Parce qu’elles constituent selon lui le troisième pilier de la gouvernance. Deux disciples de Kurt Lewin, publient en 1960 les résultats d’une étude trop méconnue des dirigeants et managers : des trois styles managériaux, autoritaire, démocratique ou laxiste le deuxième conduit de loin à plus de performance et au meilleur climat socio-affectif. Le Coach ne privilégiera pas un tropisme sur l’autre mais ajustera l’accompagnement à l’aune de l’intention managériale, souligne l’auteur. « Si vous n'avez qu'un seul leader, autoritaire, autocratique, vous aurez beau mettre en place l’Holacratie, tout le monde ira le voir pour lui demander ce qu'il veut, est-ce qu'on a le droit de faire ceci ou cela », observe Pierre.

Qualifier le style de la patronne ou du boss détermine le procès d’évolution à venir. On ne saurait adopter un nouveau mode de gouvernance sans expliciter le style de leadership que les managers en place incarnent et veulent voir advenir. Expliciter, c’est-à-dire s’en ouvrir à autrui. Et Pierre prolonge ce pré requis par son corolaire : « il faut libérer la parole au sein de la direction ».

La méthode ACOS qui est l’objet de son livre est un processus court (une demi-douzaine de séances) permettant à chacun des membres d’un système de se réaliser comme système. Et ce, en recourant à des principes et postures étayés par la recherche action et le questionnement.  Par exemple, « que s’est-il passé depuis la dernière séance qui contribue à notre travail commun ? » ou encore la question miracle issue des travaux de M. White et D. Epson où il s’agit de projeter l’échange avec les personnes dans un avenir situé après la résolution de leur problème.

En somme, la lecture de cet ouvrage et l’interview de Pierre Millerat me donnent à penser que l’adoption de l’Holacratie ne saurait faire l’économie d’un authentique décentrage de chaque partie constituante. A commencer par celui des dirigeants et des membres du Codir. Décentrage assorti d’un comportement serviciel lui-même sous-tendu par la fameuse formule de JF Kennedy, que je paraphrase ici : « demandez-vous ce que vous pouvez faire pour le système plutôt que de vous demander ce que le système peut faire pour vous ».  

Parce que « l’époque des Leaders qui doivent individuellement appréhender toute la complexité pour prendre les bonnes décisions est révolue » comme l’indique la quatrième de couverture du livre « Le Coaching de dirigeants orienté solution ».

  1. Voir l’interview du Fondateur Enedis Conseil Action en vidéo
  1. Pierre Millerat recourt au vocable d’Eric Berne, fondateur de l’analyse transactionnelle : « frontières ». Je lui préfère le mot « membrane » parce qu’il renvoie sémantiquement à la notion de membre et ne véhicule aucune connotation obsidionale.
  1. Emprunté à Patrick Dugois
  1. Aucune des parties ne portant le chapeau des difficultés rencontrées, tous ayant pris conscience de la possibilité d’infléchir le futur explique en substance Pierre Millerat

Photo formation Holacracy HappyWork
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