Le
17
décembre
2021
• Par
Bastoun Talec
Entrepreneurs, dirigeantes, managers comment pouvons-nous envisager des changements en profondeur si en surface nous adoptons le statu quo ? Nous continuons à parler de nos « boîtes » alentour sans réaliser combien nous (nous) enfermons. Parce que les mots sont « du fond qui remonte à la surface ». Nous voulons généraliser une relation plus saine au travail, générer plus d’amour à l’endroit de l’entreprise ? Changeons de vocable. Troquons le mot « boîte » pour celui d’entreprise. Au pire, le mot « boîte » pourrait n’être que l’apanage de l’actionnaire : si je peux investir dans une boîte puis-je, avec un peu de respect pour moi-même, m’y investir ?
Vous pouvez investir dans l’immobilier tandis que vous investissez votre foyer. Dans lequel, je l’espère, vous vous sentez bien et non « mis en boîte ». Et si je n’allais plus travailler dans ma boîte mais œuvrer en entreprise ? De la même façon que je fais la différence entre me loger et habiter. Entre ingérer mes médicaments et prendre soin de moi. Entre avaler et me nourrir. Mettons un terme à l’usage du mot « boîte ». Terme usagé. Il renvoie à la chose mécanique ou inerte, au consumérisme outrancier, à l’emballage jetable à peine recyclable et à l’univers carcéral, au diable qui en sort bien après les affres répandues par l’inconséquence de Pandore. A l’objet possédé. « Ma » boîte. La boîte de l’égo. Fi de ce mot ci, de ces maux là.
Il n’est d’entreprise sans élan. Celui de lâcher une prise pour une autre. Entre deux prises.
Dans cet interstice jaillit l’énergie fondatrice de toute aventure humaine. Parfois individuelle au début, souvent collective par la suite. L’élan de tout entrepreneur devant la paroi rocheuse qu’il ou elle défie.
De ce point de vue, « l’agilité » partout invoquée dans l’entreprise une fois établie, puise à cette source. De l’entreprise, voici l’adret. Irradié de la « chaleur ajoutée » par celui ou celle qui a frotté les silex puis allumé le feu inaugural. Le fondateur ou la Fondatrice a fait un écart. Détourné le cours de sa vie. Tenté ou inventé quelque chose. Entraîné les autres dans l’aventure.
Une entreprise réussie, n’est-elle pas ce collectif humain toujours animé de la flamme originelle et heureux de la raviver ensemble ?
Un péché originel ou ultérieur peut toutefois obscurcir cette intention magnifique et voir l’entreprise dévaler son ubac : ce qu’Aristote désigne comme la chrématistique ou comment l’argent devient une fin en soi. Cette pente glissante de l’avidité entache bien des succès entrepreneuriaux.
Christophe Colomb et la Renaissance ont résolument entraîné l’humanité dans une ère de conquête jusqu’à Elon Musk. Combien de nobles découvertes entreprises, d’entreprises de découvreurs ont-elles été souillées de l’ignoble pulsion du Conquistador, du goût du monopole, du sceau de la prédation ? Si depuis plus de cinq siècles, l’humanisme – avec les technostructures qu’il a colporté- a démocratisé la possibilité d’entreprendre, il ne s’est en revanche départi ni de son esprit de conquête, ni de la quête du con ni de l’humano-centrisme.
Ainsi, la mièvre incantation à « replacer l’humain au centre de l’entreprise » ne veut pas voir qu’il s’agit plutôt d’inviter le vivant en son sein. Elle prolonge l’angle mort de la promesse humaniste visant à placer l’humain au centre de toute chose. Ce qui fut nécessité émancipatrice tourne désormais à l’effronterie. Et puis quel humain ?
Quel est le sens de n’entreprendre que pour nous-mêmes ?
Pourquoi cantonnerions-nous l’entreprise à la bulle de l’économie lorsque l’on sait désormais celle-ci contenue par la sphère de l’écologie ? Voyez comme l’histoire du vocabulaire nous façonne : le mot « économie » a vingt-cinq siècles tandis que « écologie » est né il y a 155 ans*. Cette prééminence historique nous illusionne et floute notre vision du monde ; Jusque dans l’entreprise que l’on veut régie uniquement par un « modèle économique » alors qu’elle modèle l’écologie.
De la même façon que nous parquons la nature (Center parcs et parcs naturels) nous cantonnons l’ESS à 10% du PIB en France. Pourquoi l’économie et l’entreprenariat ne seraient-ils pas à 100% sociaux, solidaires (et environnementaux) ! Aux employeurs, exaspérés par tel ou tel comportement, s’écriant « on n’est pas là pour faire du social », je réponds « vous êtes là aussi pour faire du social à partir du moment où vous avez fait société ».
L’entreprise est tout sauf une ligne Maginot ou un Bunker. L'entreprise comme ouvre-boîtes, décloisonne. Inclusive, elle s'ouvre. Elle "marche" , et en marchant, alterne équilibre et déséquilibre. Elle mue ou meurt...en boîte.
*par le biologiste allemand Ernst Haeckel.