Le
23
avril
2020
• Par
Bastoun Talec
Horizontal ou vertical ? En matière de management, la pandémie nous enjoint à sortir des axes orthonormés. Et de prolonger ce qui se joue par endroits sur le terrain de nombreuses équipes en activité : elles dessinent des figures holomidales.
Il y a 5 semaines, l’autonomie et la responsabilité des collaborateurs étaient un luxe. Aujourd’hui ce sont des basiques. En temps de crise, les réponses appropriées proviennent du terrain, non plus du QG. Les adaptations s’avèrent décentralisées et reliées. Qu’attendre d’un siège social évacué ? Le terrain en ce moment, ce sont les foyers des managers et des collaborateurs. Ils y travaillent. De façon autonome et responsable parce que la situation les y oblige. Oui, cette crise met les actifs en demeure...de travailler de façon autonome et responsable. En ce sens, la COVID-19 accélère l’histoire du management.
L’Observatoire de la Parentalité en Entreprise (OPE) place à la tête de la liste des réticences des employeurs au télétravail la perte de contrôle managérial. Nous le verrons plus bas, l’adaptabilité hiérarchisera pourtant toujours plus les entreprises. A la lumière de la pandémie, ce n’est pas le télétravail mais l’empowerment qui pourrait devenir un véritable projet organisationnel inscrit dans les stratégies entrepreneuriales.
Si l’on devait cartographier un extrait des actuels flux opérationnels et informationnels d’une équipe ou d’une Business Unit en avril 2020 : cela pourrait, spatialement, s’apparenter à cela :
…soit l’image de l’organigramme contemporain !
Loin de moi l’apologie du télétravail*. Généralisé, il ralentit des projets et risque de dissoudre l’esprit d’équipe. En outre, il suppose une infrastructure IT sans faille, des foyers aménagés et une organisation domestique adaptée. Il ne convient pas à tous (2/3 des actifs américains confinés depuis 2 ou 3 semaines, avouent que leur lieu de travail leur manque**). Enfin et surtout, le télétravail est tout simplement inenvisageable dans de nombreux secteurs (23% des actifs français ne peuvent plus du tout travailler depuis le 16 mars.)
Cela dit, la crise sanitaire a ouvert des brèches. Quels enseignements et quelles perspectives tirer des premières semaines télétravaillées en masse ? La moitié de la population active étatsunienne télé travaille. Parmi laquelle 65% s’estiment plus productifs à la maison ! Et 71% des actifs américains déclarent ne pas ressentir de pression pour prouver qu’ils travaillent effectivement.
A l’instar de toute crise, celle-ci recèle son lot de dangers et d’opportunités. Ouvrons plutôt les yeux sur les chances à saisir :
D’une part, l’acquisition fulgurante et par le plus grand nombre de nouvelles pratiques pour lesquelles on planifiait de longs et partiels programmes de « transformation digitale » il y encore un mois ! L’usage de visio conférences et autres outils collaboratifs explose. Les gens pataugent au début, bidouillent puis s’approprient ces outils en quelques jours ! D’une certaine manière, ce corona virus agit sur la population comme un immense nudge. L’équation Co = (Ca + M) x D bat ici son plein. Où Co équivaut à comportements Ca à capacités, M à motivation et D à déclencheur. Lequel, dans le cas présent, s’appelle Covid-19. Ce qui nous arrive milite pour celles et ceux qui postulent que le contexte détermine avant tout nos comportements. Et que tout changement de contexte infléchit donc nos actes. Soit poser en passant, la question suivante : Si nous sommes capables de renoncer, en nous confinant, à une grande part de nos libertés devant cette pandémie, que sommes-nous prêts à concéder pour conjurer les conséquences du réchauffement climatique ?
D’autre part, la pandémie renouvelle les rapports au travail parmi des collaborateurs potentiellement grandis et souhaitant se ré-unir. Parce que le « restez à la maison » enjoint à se supporter, dans tous les sens du terme. L’isolement et/ou la promiscuité nous confrontent. Chacun.e a rendez-vous avec soi-même, ses merveilles et ses parts d’ombre. Se supporter signifie à la fois rester tranquille, dominer son impatience, voyager immobile, se discipliner etc... et soutenir ses proches, ses co-équipiers, les personnes avec lesquelles nous travaillons. Peut-être allons-nous tous mûrir ?
Il ne s’agit pas de regarder le monde à venir avec des lunettes roses ou de clamer que « le bonheur est dans l’après ». En revanche, ne manquons pas l’opportunité de préparer la suite en nous posant à nous et autour de nous quelques questions simples et constructives à commencer par les 4 A :
Pendant le confinement, qu’aurai-je Appris ? Apprécié ? Que vais-je Appliquer ou continuer d’appliquer ? Que pourrais-je Améliorer dorénavant ?
Ou encore :
- qu’ai-je observé en moi et autour de moi durant ces semaines ? Quels comportements et initiatives remarquables sur lesquels capitaliser ? Quels enseignements en extraire pour améliorer le travail ?
Mis au point par l’armée américaine dans les années 90, cet acronyme caractérise le monde fluctuant après le dégel de la guerre froide. VICA comme Volatilité (pensez aux cours des marchés financiers) , Incertitude (vous disposez d’ une info mais ne savez pas comment elle se traduira) , Complexité (vous avez plein d’infos mais leur combinatoire les rendent peu lisibles) et Ambiguïté (cygne noir) .
La pandémie est ses corollaires bousculent les ordres établis. C’est bien là le potentiel du chaos. Nassim Nicholas Taleb a montré que tout corps social a besoin d’une certaine dose de chaos pour évoluer***. Afin d’en éviter l’overdose, revisitons, à l’échelle de nos organisations, l’acronyme VICA :
Entreprises, institutions, associations, administrations… Ce VICA n’offre pas seulement une grille de lecture ni même des repères pour agir. Ce sont quelques ancrages pour construire votre organisation. Des ancrages voire des bouées. Pendant cette crise, déjà économique.
En définitive, il y aura bien un avant et un après. Y compris en termes organisationnels.
Parce que redonner de la puissance à une entreprise suppose d’en conférer à tous les gens qui œuvrent en elle.
Ce n’est pas du « flat management ». Encore moins « top down » ou « bottom up ». En éclatant les espaces de travail, la pandémie, ouvre une troisième dimension managériale : la possibilité de passer de la 2D à la 3D.
* En France, avant le confinement, environ 12 % d’actifs (sur 27,2 millions, données Insee 20/2/2020) travaillaient déjà de chez eux au moins une journée par semaine. Depuis le 17 mars 7.9 millions sont en télétravail total ou partiel.
** https://zapier.com/blog/wfh-report/
*** Antifragile par N.N. Taleb : éditions Les belles lettres, 2013