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B comme Bonheur. Abécédaire du travail secoué

B comme Bonheur. Abécédaire du travail secoué

Le 

26

 

novembre

 

2021

 • Par 

Bastoun Talec

« La vie appartient à ceux qui se lèvent de bonheur. » J’ai forgé ce slogan pour une célèbre marque de boissons de petit-déjeuner dans une vie antérieure.

Il exagère un fond de vérité.

Parce que je regarde la vie comme une motte d’argile, tournée par le temps. Et glissant entre nos doigts affairés à lui conférer quelque forme. Je suis au monde, dépositaire de quelque chose à façonner. Ma vie.

Alors oui, la vie, cette chose à faire qui m’échoit, m’appartient. Je la regarde comme une première matière. Epuisable. Une ressource essentielle. Aimable. Une source d’énergie. Renouvelable.

Alors oui,

"faire de mon mieux" signifie faire la meilleure chose possible avec moi comme matière. Sujet à l’œuvre. Work in progress.

Et ne jamais désespérer de ce que « ça » (la vie) me travaille.

La vie m’appartient donc m’oblige : il m’appartient de l’honorer. De lui donner ce qu’elle renferme en substance : l’inclination à persévérer dans mon être, à devenir meilleur que moi-même. Il m’appartient de faire honneur à la vie en moi.

La vie ne saurait pour autant se réduire à la poursuite du bonheur n’en déplaise au préambule de la Déclaration d’Indépendance étatsunienne.

Le bonheur, instable et vaste tel l’océan, qui peut se targuer de l’avoir « fixé » ? L’heur renvoie à l’augure, l’heur bon à la chance ou la fortune. Autant d’items extrinsèques. Lesquels semblent nous échapper, nous déterminent à la fois et surtout évoluent sans cesse.

Le bonheur quoiqu’insaisissable n’en demeure pas moins possible.

La ligne de partage des Stoïques entre ce qui n’est pas sous mon contrôle et ce que je maîtrise nous éclaire à cet endroit. Plus proches de nous, les neurosciences mesurent les immenses pouvoirs de notre cerveau. Et je mesure notre pouvoir sur celui-ci : je peux conditionner mon cerveau plutôt que l’inverse. Le prédisposer à accueillir favorablement « ce qui m’arrive ». Le transformer en une heureuse distillerie. Le rendre omnivalent selon un vocable emprunté à Paul Valéry : un cerveau velcro capable d’accrocher tout et que tout accroche. Programmé pour le bonheur. Un cerveau à la fois capable de filtrer tout ce qui me rend heureux et de rendre tout heureux.

Les historiens n’ont pas écrit l’Histoire du bonheur. Au demeurant, je peux émettre l’hypothèse suivante : le bonheur individuel semble une affaire bien nouvelle et relative à l’aune de notre histoire humaine.

Amalgamées, toutes les aspirations individuelles fondent désormais un marché. De fait, il existe un vaste marché du bonheur*. Le marché de l’éradication de nos souffrances subies. Le travail, conformément à son étymologie, étant encore majoritairement vécu comme un espace de souffrances, on comprend que le « bonheur au travail » sonne d’abord comme un oxymore, une promesse intenable. Mais ensuite comme une nécessité impérieuse.

Parce que le marché du bonheur dépasse l’effet de mode, la sphère de l’intime et les frontières de l’OCDE, il enjoint le monde du travail à l’incorporer. Aussi le développement personnel devient corporate, tandis que les CHO et autres porte-étendards de la QVT s’appliquent à vider le travail de sa substance délétère, aspirent à le rendre plus agréable. Ces agents vous paraissent ridicules, dérisoires, captieux ? S’ils le sont, c’est qu’ils opèrent sur un grand corps malade : le système organisationnel dominant.

Améliorer la qualité de vie au travail, s’avère une visée nécessaire et insuffisante tant il s’agit à mon sens d’envisager le travail comme procédant de la qualité de vie. Il nous appartient donc de lui donner de nouveaux contours.

Le travail comme possibilité, non exclusive, de se réaliser.

L’enjeu ne consiste plus à « gagner sa vie » mais à faire gagner la vie en soi.

Cela devrait être rendu possible par le travail. Plus je choisis mon travail et mes rôles professionnels au sein de mon travail, plus cette possibilité s’étend. La RTT imposée à tous charrie une vision étroite et coupable du travail. A la diminution universelle du temps de travail, substituons une augmentation du goût de la vie au travail.

Si la vie est irréductible à la poursuite du bonheur, d’ailleurs souvent confondue avec l’amoncellement de plaisirs comme on confond la santé avec la prise de médicaments, et qu’il y a bien de la vie au travail, ce dernier ne saurait poursuivre le bonheur.

Nous y voilà. Le bonheur comme une intention et non comme une fin. Postulé et non poursuivi. Un élan vital plus qu’une récompense définitive. Parce que l’activité offre une possibilité de réalisation de soi, je me dois d’être heureux en général et en particulier au travail. Parce qu’elle me relie à autrui, je dois être heureux pour les autres.

Souvent, je me lève de bonheur.

*si l’argent ne fait pas le bonheur, le bonheur fait de l’argent.

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